Never let me go, Auprès de moi toujours, Placebo et Kazuo Ishiguro
Si vous me côtoyez, vous savez que, régulièrement, j’ai des lubies artistiques qui sont du genre monomaniaques, quitte à saouler mon entourage, même si je me contiens. Cette année, j’ai eu une phase Buffy, The Vampire Slayer qui a duré plus de deux mois, voire trois, d’ailleurs, j’en ai écrit un article que je n’ai jamais publié sur la censure des chaînes françaises, peut-être un jour… Mais ce n’est pas le sujet.
Puis, depuis le mois de juin, je suis retombée dans les bras accueillants (ou pas, c’est vous qui voyez) de Placebo.
Placebo, Never let me go
J’avais mis de côté ce groupe au moment de leur quatrième album, Sleeping with ghosts parce que je ne me retrouvais plus dans leur musique ni dans l’arrogance de leur chanteur, alors j’ai mis de côté. Presque 20 ans… Pourtant, j’avais été bluffée par leur premier album éponyme, puis par Without you I’m nothing et Black market music m’avait bousculé par quelques titres extraordinaires. J’adorais leur côté hors norme, le jeu des genres, l’énergie de leur musique, leurs expérimentations, jusque l’année 2003.
Et en juin de cette année, je ne sais pas d’où c’est venu, j’ai ressenti comme un appel à réécouter leur musique. Oui, ça fait un peu mystique dit comme ça, mais je n’avais aucune raison de revenir vers eux à ce moment-là, je n’ai aucune explication. Dans ma tête, j’ai entendu leur musique, alors je me suis remise à écouter. J’avais besoin d’énergie pour sortir mon premier livre, La Légende de la Méduse, et leur musique me l’a offerte et continue de me l’offrir. Je pense que ce livre, celui qui arrive pour la fin de l’année et mon podcast créatif, le Jardin des Délices n’auraient jamais vu le jour sans cette pulsation énergétique.
Assez rapidement, j’ai appris que le groupe venait de sortir un nouvel album : Never let me go et j’ai été d’emblée conquise. Le groupe a évolué, et je me retrouve à nouveau dans leur choix musicaux et certains de leur textes. Cet album m’a littéralement avalée pendant plusieurs semaines. Il m’a scotchée, d’abord par sa richesse musicale, plutôt surprenante, mais aussi par ses textes singuliers, parfois complexes. Alors, aujourd’hui, Brian Molko prend moins la plume pour parler de sexe ou de drogues (quoique), oui, mais il aborde des sujets tout autant intéressants et qui me touchent particulièrement : l’éco-anxiété et le retour à la Terre (« Try better next time »), la surveillance accrue par les proches et moins proches, les médias, l’autorité… (« Surrounding by spies »), David Bowie, la mort et la violence policière (« Happy birthday in the sky »), le mal-être et l’envie de changer de vie, de disparaître (« The Prodigal », « Chemtrails », « Went Missing »)… Bref des choix d’actualité, pour quelqu’un qui se force à s’adapter à la vie dans une société occidentale bancale et malade et qui réveille l’éternelle question : pourquoi vouloir s’adapter à une société malade ? Qui est le plus malade ? Le marginal ou celui qui s’adapte à la société malade ?
Alors forcément, j’ai été envoûtée et je ne peux que vous conseiller de jeter une oreille attentive ne serait-ce qu’au morceau qui ouvre l’album, « Forever Chemical », à sa harpe (si je ne me trompe pas) distordue et à sa lourdeur indus. Clairement, à l’écoute de cet album, avec les clips, et le nouveau look du chanteur, j’ai eu une réminiscence de mes années Nine Inch Nails (« The perfect drug », pour le look et l’album concept Year Zero).
Véritable objet d’art, cet album a un artwork soigné, c’est d’autant plus rare de nos jours que ça mérite grandement d’être noté, et qui donne vraiment envie de posséder le disque. Et tout ça stimule mon esprit créatif et me donne envie de crier : « Art is resistance !« , comme toujours.
Kazuo Ishiguro, Auprès de moi toujours
J’aime beaucoup les groupes qui poussent à la réflexion jusqu’à proposer des références littéraires (les livres, c’est ma vie, mon obsession, sans eux je ne suis rien). Donc, naturellement, en bonne curieuse qui se respecte, je vais creuser un peu et aller lire les références quand j’en ai l’occasion et surtout le temps. Là, j’avoue, le livre de Kazuo Ishiguro, Auprès de moi toujours…, m’a pris beaucoup plus de temps de lecture que prévu à cause d’un mois de septembre très chargé en réécriture. Pourtant, la lecture est d’une fluidité rare. Et j’adore les récits où la subtilité du fantastique (plutôt SF ici) vous emporte sans que vous ne vous en rendiez compte (mention spéciale à Mélanie Fazi dont les nouvelles fantastiques embrasent mon cœur et mon esprit à chaque lecture grâce à cette subtilité délicate, ainsi qu’au livre mémorable de Marlen Haushofer, Le Mur invisible). Mais nous embarquons d’abord, ici, dans une histoire d’amitié des plus réalistes que l’on suit par flashbacks. Les incursions dans le temps présent, laisse un goût amer qui ronge les entrailles. C’est plutôt étrange, parce que cette sensation est amenée par un seul mot : « don ». Là où on pourrait y voir quelque chose de débonnaire, il n’y a qu’illusion, douleur et sacrifice. On se doute, mais rien n’est expliqué avant la fin… Alors, je n’irai pas plus loin, je n’ai pas envie de vous gâcher le plaisir de la découverte via la lecture et le choc scénaristique. J’ai juste envie de parler de cette chanson qui hante le récit et qui a donné son nom à l’album de Placebo, « Never let me go », « Auprès de moi toujours » en français. Cette chanson entêtante. Celle qui vous rassure et que vous fredonnez pour vous réconforter. La chanson doudou. Elle devient presque un péché mignon qu’on se garde pour soi quand on est seul.e et dans laquelle on se love. On en a toustes de ces chansons-là. Elles n’ont pas besoin d’être extraordinairement originales, mais elle nous parle directement au cœur, cette énergie universelle qui nous traverse toustes. L’énergie la plus importante. L’énergie immuable.
J’ai mis tant de temps à lire ce livre qu’il m’a accompagnée comme un ami pendant plusieurs semaines et ses personnages me manquent. Il y avait longtemps que je n’avais pas eu le reading blues, tiens…
Et puis, cette chanson tisse un récit différent dans plusieurs esprits. Les protagonistes qui lui sont confrontés créent chacun une histoire différente en fonction des émotions liées à la chanson et c’est tellement merveilleux de pouvoir écrire un texte qui permet à chacun d’avoir sa propre rencontre avec les mots, avec son propre imaginaire. C’est un véritable aboutissement pour un parolier, je pense.
Never let me go : le cri de tous les livres
Ce titre, « Never let me go », exprime autre chose pour moi qui suis depuis toujours fascinée par les livres. Il est lié à ma bibliothèque (certains parleront même de collection tant je les accumule et leur accorde d’importance dans ma vie). C’est le cri que je crois entendre dès que je fais du tri et plus particulièrement dès que j’essaie de vider ma bibliothèque. Chacun d’entre eux me hurle « Never let me go », traduction littérale : ne me laisse jamais partir. Comme s’ils avaient tous leur volonté propre et le désir de rester dans le carcan chaleureux de mes étagères. Auprès de moi toujours… Quand je me suis séparée de certains d’entre eux, je l’ai regretté. Et c’est le cri que moi je formule pour chacun d’entre eux. J’ai toujours dit qu’on m’enterrerait avec mes livres, les miens et ceux de ma bibliothèque. Ils sont mes compagnons, mes amis.
J’irai même encore plus loin en vous disant que ce cri, « Never let me go », est celui de toutes les créations (reconnues ou non), elles s’accrochent toutes aux doigts et au cœur de la personne qui lui a donné sa substance dans la matière pour l’offrir au monde. Tant d’heures passés pour lâcher prise… et let it go… l’offrir au monde.
Alors, elle ne nous appartient plus, elle est vôtre, elle est nôtre, elle est tout.
Art is resistance!
P.S. : Tu la sens poindre légèrement la fixette Nine Inch Nails, là ? 😀
[…] qu’à l’origine, c’était pas gagné. J’étais sceptique. Comme dit dans un autre article, j’avais arrêté d’écouter Placebo aux alentours des années 2003. Je ne m’y […]